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HISTOIRE ET DESCRIPTION DE L’ORGUE DE NOTRE DAME D’AFRIQUE Un riche anglais, Monsieur Weddell, habitué depuis
1892 à fuir les miasmes hivernaux de la Tamise pour les rivages plus
cléments de la Méditerranée, acquit vers 1910-1911 une grande maison
au 47 du boulevard du Télemly. Il la transforma en palais de style
mauresque qu’il affectionnait et on peut voir encore sur ce boulevard
(aujourd’hui boulevard Krim Belkacem) le portique à colonnade qu’il
construisit décoré d’une grille en fer forgé ornée elle-même de
lyres. En effet Monsieur Weddell était aussi un mélomane et voulait
mettre dans sa résidence la musique à l’honneur. À cette fin, il
fit édifier au centre de sa maison un grand salon de style mauresque
capable de contenir un orgue d’appartement, salon dessiné par l’architecte
Sauzay. Conseillé certainement par Camille Saint-Saëns qui
habitait Sidi Ferruch à cette époque et qui était lui-même grand
organiste, il commanda cet instrument au facteur d’orgue Charles Mutin
élève d’Aristide Cavaillé-Coll. Tous deux, Weddell et Saint-Saens,
atteints par la folie des grandeurs commandèrent un orgue de 26 jeux qu’on
a peine à voir rentrer dans un appartement, si grand soit-il. Ils n’hésitèrent
pas à y faire intégrer toutes les prouesses techniques que Mutin avait
développées, l’art de l’orgue ayant atteint en cette fin de XIXème
siècle un sommet de complexité qui n’allait pas forcément avec la
qualité musicale. Le résultat fut un orgue très resserré pour tenir
dans un petit espace, très complexe, et donc difficile à entretenir et
à restaurer, ce qui nous pose aujourd’hui de multiples problèmes et
augmente le coût de sa restauration. Parmi les jeux possibles, Monsieur Weddell choisit
ceux qui permettaient d’imiter la sonorité des instruments arabes. Il fit décorer le buffet dans ce même style
mauresque par un peintre local dont nous ne connaissons pas le nom. Cet
artiste calligraphia au centre une inscription en arabe, dont, aujourd’hui
encore, nous ne comprenons pas le sens. L’inauguration de l’instrument eut lieu le 31
décembre 1911 en présence du Gouverneur Général, de diverses
personnalités et d’amoureux de la musique. Bien sûr Saint-Saëns
donna les morceaux d’ouverture, Weddell joua aussi et même des
morceaux de sa composition. Une jeune demoiselle joua aussi,
Mademoiselle Forfet, et si nous la signalons c’est parce que c’est
par l’intermédiaire de son gendre que nous avons pu avoir tous ces
renseignements[1]. En 1930, après la mort de son mari, Madame Weddell
fit don de l’instrument à Notre Dame d’Afrique. Pour pouvoir le
recevoir, on construisit la tribune du fond de la Basilique[2].
C’est certainement la maison Hermann qui remonta l’orgue à la place
qu’il occupe aujourd’hui. Mais l’examen attentif de l’état dans
lequel il était laisse voir qu’il ne fut pas remonté
correctement ; face à sa complexité, la maison Hermann n’a pas
pris le temps de soigner tous les détails. L’orgue fonctionnait tant bien que mal, de temps à
autre un facteur d’orgue le réparait[3],
mais il devenait évident que si on ne faisait rien il allait bientôt
se taire pour de bon. Le diagnostique de Monsieur Sals, venu l’ausculter
il y a deux ans, fut sans appel : « C’est tout ou
rien ! Si vous voulez qu’il marche il faut tout reprendre à la
base, il faut une véritable remise à neuf, cela ne peut se faire que
dans mon atelier et ça durera 18 mois. » Heureusement un
généreux donateur avait établi une fondation pour la Basilique et
celle-ci avait beaucoup fructifié en 98-99 : nous avions de quoi
nous lancer dans l’opération. Nous nous demandions s’il était
opportun de se lancer dans une si grosse affaire, mais cet orgue fait
partie du patrimoine de l’Algérie et il nous a semblé nécessaire de
le sauver. Il ne reste à notre connaissance que 6 orgues en Algérie, 4
sont hors d’usage, celui de l’église anglicane marche encore,
bientôt Notre Dame d’Afrique sera la seule à avoir un
orgue en bon état de fonctionner. Nous avons eu pas mal de déboires pour le remettre
en état. En effet n’y a pas d’espace pour travailler, tant toutes
les pièces sont serrées les unes sur les autres. Et puis, au fur et à
mesure que le travail avançait, on découvrait toujours plus la
complexité de l’instrument. Pour couronner le tout, la tempête du 10
novembre a fait pénétrer la pluie dans la tribune, mouillant certaines
parties délicates de l’orgue, à savoir des "sommiers" en
bois. En séchant, ce bois se fendillait et laissait passer l’air qui
s’infiltrait dans les parties où il ne fallait qu’il aille. Il a
fallu plus d’un mois pour réparer ces dégâts et la facture en a
été grevée en conséquence. DESCRIPTION Charles Mutin, dès 1875, fut élève et disciple d’Aristide
Cavaillé-Coll ce génial facteur d’orgue qui créa l’orgue
symphonique qui devait révolutionner la musique d’orgue dans la
deuxième moitié du XIXème siècle. Il sauva la maison de
son maître qui était en faillite en la rachetant et prit sa succession
en 1898. Cavaillé-Coll devait décéder l’année suivante. Mutin
conserva le personnel admirablement formé de la maison de son maître.
Il continua à construire des orgues monumentaux dans le monde entier,
il en construisit 552 et en restaura beaucoup d’autres. Il en
construisit 5 en Afrique du Nord : celui du Temple, celui de
Monsieur Weddell, celui d’Oran, celui de Carthage et celui de Tunis[4]. Mutin vendit son entreprise à Augustin Convers en
1924. Il décéda en 1931. Mutin ne suivit pas la fabrication Cavaillé-Coll
dans toutes ses parties. Il employa des bois exotiques dans certaines
parties, du zinc pour certains tuyaux, ainsi que le "spotted"
(mélange d’étain et de plomb non raclé qui rend le tuyau plus
rigide et moins sujet à déformation). Il utilisa également la
transmission pneumatique à membrane pour certains emprunts de basses et
certains "moteurs". Il sut conserver l’esprit de son maître
et l’ensemble de son style, tout en donnant à ses œuvres sa touche
personnelle. La
composition de l’orgue de la Basilique n’est pas l’habituelle que
l’on trouve chez les orgues de Mutin de cette importance. Il y a
nettement une tendance vers l’orgue classique avec une démarche et
une interprétation restant symphonique. Sans doute Saint-Saëns a-t-il
conseillé Monsieur Weddel dans cette composition où l’on reconnaît
l’influence de Guilmant qui aidait à cette époque à la
redécouverte de la musique ancienne. La
composition de l’orgue est la suivante : 3 claviers manuels de 56
touches et un clavier de pédales de 30 touches : 1° Clavier Grand Orgue : Montre 8, Prestant, Plein jeu 3 rangs, Bourdon 16, Flûte harmonique 8, Trompette. 2° Clavier
Positif Expressif : Salicional 8, Cor de nuit 8, Unda maris,
Clarinette 8, Nazard 2 2/3, Tierce, Flûte 4, Soprano harmonique
4. 3° Clavier
Récit expressif : Flûte traversière 8, Gambe 8, Voix céleste,
Hautbois 8, Viole d’amour 4, Flûte octavainte 4, Basson 16. Clavier de pédales :
Flûte 16, Basse 8, Sousbasse 16, Trombone 16. Les procédés
sonores et harmoniques restent de leur époque, fin XIXème.
Les tuyaux sont pavillonnés, les
biseaux dentés, les tailles larges. Deux des claviers (Positif et
Récit) sont expressifs. Comme cet orgue fut de salon à l’origine, il
a été construit pour ne pas dépasser une certaine hauteur. Les plans
sonores sont donc tous sur le même niveau, la mécanique montée le
plus bas possible. La transmission du clavier de Grand Orgue est
transmise par une machine Barker, aidant la transmission et les
accouplements de clavier. Une double registration par registres
tournants, procédé particulier à Mutin, est
montée pour tous les jeux de l’orgue. Les sommiers sont tous
en très beau bois de chêne, les soufflets en sapin et pin, ainsi que
les tuyaux de bois. Les abrégés sont montés sur charpente de bois et
à rouleaux de métal. Les portevents sont en sapin. Les tuyaux de
métal sont en spotted, certaines basses, notamment dans les anches,
sont en zinc. Certains tuyaux sont coudés pour ne pas dépasser la
hauteur disponible pour la première destination de l’orgue. L’ensemble
est soutenu par une charpente de bois de forte section et contenu dans
un buffet en sapin décoré et peint de motifs mauresques très bien
exécutés. Cet orgue est d’un
intérêt musical et instrumental certain. Il fait partie de l’histoire
de la musique en Algérie, c’est un instrument de grande valeur, il y
a là un authentique monument historique. Paul Marioge Notre Dame d’Afrique, le 16 février 2002 [1] Cf "L’Afrique du Nord Illustrée" n°184 du 15 février 1912 [2] Cf "La Semaine Religieuse d’Alger" 1930 [3] Remise à neuf des soufflets de la machine Barker en septembre 1984 par Alain Sals ; 3 jours de travail de Gaston Kern en avril 1990 ; intervention de Franco Faia de Dogliani (Cuneo – Italie) en 1993. [4] Cf le catalogue de la maison Mutin au Musée de La Vilette (France) quelques photos |